Ceux qui marchent

— Apprends-moi ! — Encore toi ? dit le Chef de File en se retournant à demi. — Apprends-moi ! insiste Nièj. — Qu’est-ce que tu veux savoir ? — Comment on guide… — Tu prétends prendre ma place ? demande le grand gaillard en plaisantant à demi. — Non. Je veux juste que tu m’expliques. Et puis au fond, pourquoi il n’y aurait pas deux Chefs de File ? — Parce que ça ne se fait pas. — Réponse ridicule, boude le garçon. Digne de mes parents… — Il y a des règles. — Je peux faire un bon second ! Il faut juste m’expliquer les cadences. — Ça n’a rien à voir avec les cadences, répond calmement le guide. — Le cycle des Fêtes ? L’orientation ? — Non plus et non plus. — Quoi alors ? — Ce qu’il faut apprendre, tu l’as déjà entrepris juste avant de venir me voir. Regarder chacun d’entre nous, évaluer ce qu’il peut ou ne peut pas faire, ce qu’il veut ou ne veut pas faire. Deviner les aspirations individuelles, les devancer autant que possible. As-tu remarqué ? Personne ne reste en arrière sans l’avoir accepté, car nous savons tous qu’à chaque instant, un regard bienveillant est posé sur eux et s’inquiète sincèrement de leur devenir. Si notre peuple continue de marcher sans même savoir où il va, c’est que son voisin compte autant pour lui que lui-même. Le garçon demeure bouche bée. Ainsi, marcher n’est pas seulement une nécessité vitale. Derrière l’âpreté de l’exercice, la rugosité des mollets et des visages se cache la conscience de partager un chemin difficile au-delà du dicible. Au moment où Nièj se rend compte qu’il n’a pas perdu un objectif de vie mais qu’il en a gagné des centaines, une main s’abat sur son épaule. Le Chef de File l’attire à sa hauteur avec un sourire complice. Après une apparition timide, celui de l’enfant s’estompe tandis qu’il regarde l’horizon et la boule pâle du soleil : midi est une heure écrasante. Ceux qui marchent - Sébastien Gollut 6

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