Histoires d'Avenirs: Science-fiction pour le cours de français niveaux intermédiaire et avancé

7 III. LA NOUVELLE ET LA SCIENCE-FICTION étienne lussier ( m . a . student in french at portland state university , 2014-2016) Retracer la genèse des genres littéraires peut s’avérer un exercice difficile. Pouvons-nous dater avec précision l’apparition de ces pratiques de catégorisation qui se sont développées au cours de plusieurs siècles ? Ce fait est de nature anthropologique : les humains veulent se raconter, transmettre leur vécu, relier leurs expériences aux générations qui les ont précédés et à celles qui suivront. La nouvelle ne fait pas exception : elle cherche à raconter des histoires, mais elle le fait avec une approche singulière. Cette singularité demeure difficile à bien définir car le genre ne jouit pas d’une autonomie entière. Souvent, nous devons la comparer à d’autres genres, comme le conte, le mythe, ou le roman. Mais, tout comme le roman, la nouvelle est un genre à part entière et elle possède une histoire qui lui est propre. Nous pouvons avancer, avec plus ou moins de précision, que l’origine de la nouvelle remonte au Moyen Age. Elle reposait alors sur une tradition orale. Mais déjà à cette époque, la nouvelle devait intéresser ses lecteurs et frapper leur imaginaire, principalement en reposant sur des procédés formels 2 . Ces procédés semblent traverser les époques, du Moyen Age, en passant par la Renaissance et la modernité : la nouvelle, comme son nom l’indique, doit apporter de la « nouveauté », de l’inattendu. 3 Au fil des siècles, la notion de « nouvelle » a évolué en diversifiant ses sujets et ses thèmes. C’est bien le propre d’un genre : c’est une construction sociale et humaine qui évolue en synergie avec les pratiques de son époque. À partir du 18e siècle, le sort de la nouvelle en France a été directement influencé par le champ littéraire italien et espagnol, notamment avec le travail de Miguel Cervantes et ses Douze Nouvelles exemplaires (1613). La nouvelle apparaissait à cette époque comme une forme concurrente du roman : elle était moins définie par sa longueur que par les thèmes abordés. On retrouvait une volonté de demeurer proche du réel et de créer des récits vraisemblables sur le plan historique. Par exemple, La Princesse de Clèves (Mme de La Fayette, 1678), qui aujourd’hui est considéré comme un roman, était alors considérée comme une nouvelle. Ce n’est qu’au 19e siècle que nous pouvons commencer d’observer un retour et une certaine stabilisation de la notion de nouvelle. À cette époque, la nouvelle était véritablement l’objet d’une recherche esthétique singulière. Immédiatement, il nous vient en tête l’œuvre américaine d’Edgar Allan Poe qui a révolutionné le genre en tentant de créer des effets dramatiques foudroyants, mais aussi, du côté français, les nouvelles de Gustave Flaubert et Guy de Maupassant — notamment, pour ce dernier, ses nouvelles fantastiques. Cette bref historique de la nouvelle permet de voir que les caractéristiques de la nouvelle ne sont pas figées, mais évoluent selon les époques. Il y a néanmoins quelques éléments qui sont importants aujourd’hui pour bien comprendre la spécificité de la nouvelle. Premièrement, la nouvelle est marquée par sa brièveté . Si nous avons mentionné au départ que la nouvelle provenait de la tradition orale, le caractère bref de la nouvelle est certainement un vestige de cette tradition. Comment expliquer cette brièveté ? Est-ce qu’une nouvelle de 100mots est trop courte ? Est-ce qu’une nouvelle de 100 pages est trop longue ? Quand la nouvelle devient-elle un roman ? Ceci nous amène à notre deuxième élément primordial pour définir la nouvelle : elle doit avoir un but précis. Un texte bref est un texte qui va droit au but et qui n’explique pas tous les détails de la vie ou de l’état d’âme des personnages. Si le roman, en règle générale, procède selon le principe d’expansion, la nouvelle, elle, vise la réduction : ce n’est pas le nombre de pages qui importe, mais le geste esthétique d’écriture. Le nouvelliste , celui ou celle qui écrit des nouvelles, doit donc épurer son texte et ses descriptions ; souvent, il ou elle crée des ellipses, des blancs dans le texte qui devront être remplis par le lecteur. La brièveté n’est donc pas une question de paresse ou de manque de contenu ! Elle est une recherche esthétique dans l’écriture. Pour reprendre la célèbre remarque du philosophe Blaise Pascal : «…mes lettres n’avaient pas accoutumé de suivre de si près, ni d’être si étendues. Le peu de temps que j’ai eu a été cause de l’un et de l’autre. Je n’ai fait celle-ci plus longue que parce que je n’ai pas eu loisir de la faire plus courte». 4 En règle générale, la nouvelle culmine vers une pointe , ou une chute, c’est-à-dire 2 Dubois, Roger. « La Genèse de la nouvelle en France au Moyen Age », Cahiers de l’association internationale des études françaises. 18 (1966) : 13. 3 Gagnon, Lucie. « La nouvelle à travers les siècles », XYZ. La Revue de la nouvelle , 26 (1991) : 60. 4 Pascal, Blaise. « Les Provinciales », Œuvres complètes (Paris, Seuil, 1963) : 453.

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