Histoires d'Avenirs: Science-fiction pour le cours de français niveaux intermédiaire et avancé

18 Ses collègues causaient bruyamment autour de lui sans le distraire ; ils s’interrogeaient, ils se lançaient dans le champ des suppositions, ils examinaient leur président et cherchaient, mais en vain, à dégager l’x de son imperturbable physionomie. [Barbicane commence son discours. Il parle des avancées déjà faites en matière de voyage vers la Lune et des cartes « sélénographiques » qui ont déjà été dressées.] Lorsque l’agitation fut calmée, Barbicane reprit d’une voix plus grave son discours interrompu : « Vous savez, dit-il, quels progrès la balistique a faits depuis quelques années et à quel degré de perfection les armes à feu seraient parvenues, si la guerre eût continué. Vous n’ignorez pas non plus que, d’une façon générale, la force de résistance des canons et la puissance expansive de la poudre sont illimitées. Eh bien ! Partant de ce principe, je me suis demandé si, au moyen d’un appareil suffisant, établi dans des conditions de résistance déterminées, il ne serait pas possible d’envoyer un boulet dans la Lune. » A ces paroles, un « oh ! » de stupéfaction s’échappa de mille poitrines haletantes ; puis il se fit un moment de silence, semblable à ce calme profond qui précède les coups de tonnerre. Et, en effet, le tonnerre éclata, mais un tonnerre d’applaudissements, de cris, de clameurs, qui fit trembler la salle des séances. Le président voulait parler ; il ne le pouvait pas. Ce ne fut qu’au bout de dix minutes qu’il parvint à se faire entendre. « Laissez-moi achever, reprit-il froidement. J’ai pris la question sous toutes ses faces, je l’ai abordée résolument, et de mes calculs indiscutables il résulte que tout projectile doué d’une vitesse initiale de douze mille yards par seconde, et dirigé vers la Lune, arrivera nécessairement jusqu’à elle. J’ai donc l’honneur de vous proposer, mes braves collègues, de tenter cette petite expérience ! » [Les travaux de préparation commencent. Le roman fournit alors un historique de tout ce que l’on sait sur la Lune depuis toujours.] III. Ce qu’il n’est pas possible d’ignorer et ce qu’il n’est plus permis de croire dans les États-Unis La proposition Barbicane avait eu pour résultat immédiat de remettre à l’ordre du jour tous les faits astronomiques relatifs à l’astre des nuits. Chacun se mit à l’étudier assidûment. Il semblait que la Lune apparût pour la première fois sur l’horizon et que personne ne l’eût encore entrevue dans les cieux. Elle devint à la mode ; elle fut la lionne du jour sans en paraître moins modeste, et prit rang parmi les « étoiles » sans en montrer plus de fierté. Les journaux ravivèrent les vieilles anecdotes dans lesquelles ce « Soleil des loups » jouait un rôle ; ils rappelèrent les influences que lui prêtait l’ignorance des premiers âges ; ils le chantèrent sur tous les tons ; un peu plus, ils eussent cité de ses bons mots ; l’Amérique entière fut prise de sélénomanie. De leur côté, les revues scientifiques traitèrent plus spécialement les questions qui touchaient à l’entreprise du Gun-Club ; la lettre de l’Observatoire de Cambridge fut publiée par elles, commentée et approuvée sans réserve. Bref, il ne fut plus permis, même au moins lettré des Yankees, d’ignorer un seul des faits relatifs à son satellite, ni à la plus bornée des vieilles mistress d’admettre encore de superstitieuses erreurs à son endroit. La science leur arrivait sous toutes les formes ; elle les pénétrait par les yeux et les oreilles ; impossible d’être un âne [...] en astronomie. Quant à la ligne suivie par la Lune dans sa révolution autour de la Terre, l’Observatoire de Cambridge avait suffisamment appris, même aux ignorants de tous les pays, que cette ligne est une courbe rentrante, non pas un cercle, mais bien une ellipse, dont la Terre occupe un des foyers. Ces orbites elliptiques sont communes à toutes les planètes aussi bien qu’à tous les satellites, et la mécanique rationnelle prouve rigoureusement qu’il ne pouvait en être autrement. Il était bien entendu que la Lune dans son apogée se trouvait plus éloignée de la Terre, et plus rapprochée dans son périgée. Voilà donc ce que tout Américain savait bon gré mal gré, ce que personne ne pouvait décemment ignorer. Mais si ces vrais principes se vulgarisèrent rapidement, beaucoup d’erreurs, certaines craintes illusoires, furent moins faciles à déraciner. Ainsi, quelques braves gens, par exemple, soutenaient que la Lune était une ancienne comète, laquelle, en

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