Histoires d'Avenirs: Science-fiction pour le cours de français niveaux intermédiaire et avancé
17 colonels, généraux, sans avoir passé par les écoles d’application de West-Point ; ils égalèrent bientôt dans « l’art de la guerre » leurs collègues du vieux continent, et comme eux ils remportèrent des victoires à force de prodiguer les boulets, les millions, et les hommes. […] Ceci ne doit étonner personne. Les Yankees, ces premiers mécaniciens du monde, sont ingénieurs, comme les Italiens sont musiciens et les Allemands métaphysiciens — de naissance. Rien de plus naturel, dès lors, que de les voir apporter dans la science de la balistique leur audacieuse ingéniosité. De là ces canons gigantesques, beaucoupmoins utiles que les machines à coudre, mais aussi étonnants et encore plus admirés. […] En divisant le nombre des victimes tombées sous les boulets par celui des membres du Gun-Club, [le statisticien Pitcairn] trouva que chacun de ceux-ci avait tué pour son compte une « moyenne » de deux mille trois cent soixante- quinze hommes et une fraction. A considérer un pareil chiffre, il est évident que l’unique préoccupation de cette société savante fut la destruction de l’humanité dans un but philanthropique, et le perfectionnement des armes de guerre, considérées comme instruments de civilisation. C’était une réunion d’Anges Exterminateurs, au demeurant les meilleurs fils du monde. [...] Un jour, pourtant, triste et lamentable jour, la paix fut signée par les survivants de la guerre, les détonations cessèrent peu à peu, les mortiers se turent, les obusiers muselés pour longtemps et les canons, la tête basse, rentrèrent aux arsenaux, les boulets s’empilèrent dans les parcs, les souvenirs sanglants s’effacèrent, les cotonniers poussèrent magnifiquement sur les champs largement engraissés, les vêtements de deuil achevèrent de s’user avec les douleurs, et le Gun-Club demeura plongé dans un désoeuvrement profond. [Bientôt, les membres reçoivent cette circulaire :] Baltimore, 3 octobre. Le président du Gun-Club a l’honneur de prévenir ses collègues qu’à la séance du 5 courant il leur fera une communication de nature à les intéresser vivement. En conséquence, il les prie, toute affaire cessante, de se rendre à l’invitation qui leur est faite par la présente. Très cordialement leur IMPEY BARBICANE, P. G.-C. II. COMMUNICATION DU PRÉSIDENT BARBICANE Le 5 octobre, à huit heures du soir, une foule compacte se pressait dans les salons du Gun-Club, 21, Union- Square. Tous les membres du cercle résidant à Baltimore s’étaient rendus à l’invitation de leur président. Quant aux membres correspondants, les express les débarquaient par centaines dans les rues de la ville, et si grand que fût le « hall » des séances, ce monde de savants n’avait pu y trouver place ; aussi refluait-il dans les salles voisines, au fond des couloirs, et jusqu’au milieu des cours extérieures ; là, il rencontrait le simple populaire qui se pressait aux portes, chacun cherchant à gagner les premiers rangs, tous avides de connaître l’importante communication du président Barbicane, se poussant, se bousculant, s’écrasant avec cette liberté d’action particulière aux masses élevées dans les idées du « self-government ». [...] Impey Barbicane était un homme de quarante ans, calme, froid, austère, d’un esprit éminemment sérieux et concentré ; exact comme un chronomètre, d’un tempérament à toute épreuve, d’un caractère inébranlable ; peu chevaleresque, aventureux cependant, mais apportant des idées pratiques jusque dans ses entreprises les plus téméraires ; l’homme par excellence de la Nouvelle-Angleterre, le Nordiste colonisateur, le descendant de ces Têtes-Rondes si funestes aux Stuarts, et l’implacable ennemi des gentlemen du Sud, ces anciens Cavaliers de la mère patrie. En un mot, un Yankee coulé d’un seul bloc. Barbicane avait fait une grande fortune dans le commerce des bois ; nommé directeur de l’artillerie pendant la guerre, il se montra fertile en inventions ; audacieux dans ses idées, il contribua puissamment aux progrès de cette arme, et donna aux recherches expérimentales un incomparable élan. [...] En cet instant, il demeurait immobile dans son fauteuil, muet, absorbé, le regard en dedans, abrité sous son chapeau à haute forme, cylindre de soie noire qui semble vissé sur les crânes américains.
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